DIFFRAXION est le point de rencontre, le lieu d’un déploiement, par l’effet d’un miroir au tain
aléatoire, du travail de deux artistes, Elisa Mistrot et Renaud Chambon, voisins d'atelier et de
démarche, soucieux d'opérer ici une mise en perspective, un dépassement de leurs pratiques
personnelles par la confrontation de leurs affinités théoriques et pratiques. Dispositif inclusif,
installation immersive réalisée sur-mesure pour l’espace de 5UN7, DIFFRAXION a été pensé par
les deux artistes comme un set, au sein duquel « les objets n’existent jamais seulement par euxmêmes,
la partie ne prend son sens que par rapport au tout, et ce tout lui-même s’intègre dans une
Action. » 1 En effet, si chacun réfléchit l'autre dans un dispositif de mise en commun des images, il
s’agit avant tout d’une invitation faite au regardeur de choisir le meilleur point de vue, la trajectoire
idéale au-delà de la surface et au coeur des images, « d’appeler de toutes parts son indivisible
attention ; d’affoler le point vivant qui entraîne toute la machine du corps vers ce qui l’attire… »2
Les images de Renaud Chambon demeurent fidèles à sa démarche éprouvée d’appropriation
singulière du commun; sa maitrise technique du dessin n’enlève rien au potentiel d’interprétation
des images impersonnelles qu’il choisit de reproduire. Jamais hermétiques, parfois propices à de fertiles
paréidolies, elles développent toujours, malgré une certaine économie des effets, une dimension
onirique et mystérieusement érotique qui ferait presque oublier la virtuosité de l’artiste pour
favoriser l’imaginaire collectif. Quant à Elisa Mistrot, si elle convoque encore les figures de son entourage
intime pour jouer à un bizarre love triangle entre elle, le sujet et la peinture, elle radicalise
ici sa volonté de formaliser l’emprise de cette dernière en retournant des figures repérables en une
répétition de motifs qui s’autonomisent. Quand elle abandonne au regard du spectateur les visages
de ses complicités, elle-même cède aux surprises du faire pictural et déborde le portrait en laissant
glisser sa peinture de plaisir. Si leurs sources diffèrent, tous deux partagent cette volonté de
manipuler des figures choisies, empruntées, empreintes puis rendues avec soin. C’est cette
importance accordée à l’adresse et à la réception des images qui s’amplifie ici; par la mise-en-scène
aussi vaporeuse qu’électrisante d’un parcours empêchant toute vision simplement successive, ils
imposent au regardeur de prendre la responsabilité de sa lecture; en offrant la possibilité de filtres
révélateurs et de narrations enchâssées, ils proposent une alternative à la consommation d’images
toutes brillantes du même éclat superficiel calibré par nos écrans. Invalidant le trait d’Ad Reinhardt
selon qui « la sculpture est ce sur quoi l’on bute lorsqu’on se recule pour regarder la peinture »,
l’espace contraint de suspensions incisives et d’arêtes transparentes augmente la perception en
diffusant les ondes d’images fugitives. DIFFRAXION, comme un phénomène physique, dissout la
densité de deux sources distinctes et partagées, pour nous laisser projeter à nouveau notre assemblage
propre de fantasmes ondulants.
Arnaud Coutellec
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1 Abraham A. Moles – Vivre avec les choses : contre une culture immatérielle, in Art Press Hors série n° 7 : A l’heure du design, 1987
2 Paul Valery, Le problème des musées, 1923, rééd. Publication Studio Bordeaux, 2011